Le « préparer »

Émilie • 9 novembre 2020

Je reprends : en 1593, Salomon de la Broue a donc écrit avec sagesse :

Il se voit peu de jeunes chevaux qui ne pèsent ou ne tire à la main, quelque chose qu’on puisse faire, jusqu’à ce qu’ils ont atteint l’âge de cinq ans: combien qu’ils soient de taille bien partie. La raison est que plus tôt ils ne peuvent être en leur vraie force, ni ne sauraient avoir formé et assurer la juste posture du col et de la tête. Toutes fois pour cela on ne laisse pas aux communes écoles, de les rechercher  aussi vivement en la quatrième année, comme s’ils en avaient dix. Ces désordres sont causes que communément ils sont plutôt foulés que bien dressés… ”. Il semblerait que ces observations restent actuelles quelques 400 ans plus tard, le cheval ne serait-il pas notre guide vers la sagesse, vers le non-agir, le lâcher prise…

Février 2017

Blotti au fond de son box où il avait été isolé en attendant de m’être présenté, Major était contrarié. Tout juste marqué au fer et les crins rasés, il lui semblait ne plus y avoir beaucoup de raison de rester confiant en ce bipède inquiétant. Dans ce chouette élevage où il avait été nourri et choyé, le poulain de moins d’un an questionnait de son regard inquiet les visiteurs dans la lumière de la porte.

Mars 2018

Voici près d’un an que Major a quitté sa terre portugaise, les palmiers et azulejos de la Quinta Herdade Do Pinheiro, pour s’acclimater aux prairies de la Loire Atlantique avec son acolyte, Monty. Jeune entier de deux ans, Major est enclin à s’opposer à ce qui touche sa tête, qu’il soulève le plus haut possible, résiste, tire, recule, se cabre, ou palette. Une éducation légère et clairsemée le met en situation de vie sociale avec l’humain.

Août 2019

Après un début d’année entaché d’un volumineux abcès au pied dont la corne a mis plus de 8 mois à se reconstruire sans être sûr d’une cicatrisation optimale, le jeune 3 ans s’emploi à des joutes violentes, puis décide de traverser les clôtures pour se mesurer aux autres entiers. Combats, courses poursuites sur la départementale, la castration fut la promesse de plus de douceur pour mon palpitant. Œdème à la castration…

Octobre 2019

Un débourrage expressif avec un cheval vivant et joyeux nous mène à évoluer aux trois allures en bout de longe à la sixième séance en selle, puis je le laisse décanter une année en pâture.

“Un cheval de trois ans n’ayant pas sa croissance complète et encore si tendre, que si on le monte, il peut être aisément gâté…” Newcastle 1637

“ … on les monte trop jeunes, et comme le travail qu’on leur demande est au-dessus de leur force et qu’ils ne sont pas encore formés pour résister à la sujétion qu’ils doivent souffrir avant d’être dressés, on leur force les reins, on affaiblit les jarrets, et on les gâte pour toujours. Le véritable âge pour dresser un Cheval est, six, sept ou huit ans suivant le climat où il est né.” La Guérinière

“Le débourrage d’un jeune cheval doit s’attacher au mental; C’est le préparer à être dressé. Il faut viser à avoir un cheval détendu, calme et en paix, non affolé aux trois allures. » Oliveira

Septembre 2020

4 ans.  

Voici un jeune cheval d’1m64, costaud et porteur, gentil et doux qui s’interroge derrière ses clôtures en regardant travailler les autres.

Ce « cerveau gauche » dispose d’une longue encolure qu’il porte haut, nez au vent, entraînant une forte disposition à se creuser, sa dissymétrie naturelle déplace son centre de gravité vers l’avant et la droite, l’incurvation de ce côté est difficile, il prend facilement le galop à faux, tombe sur son épaule droite de manière générale… Si je commence à lui demander de se déplacer sur des cercles en portant un poids je lui impose deux difficultés, autant fractionner. Je décide donc de le préparer un bon mois à la longe avant de le remonter.

L’idée étant d’alterner le cercle et la ligne droite et de lui proposer des transitions montantes et descendantes aux trois allures en essayant de maintenir une attitude basse et ouverte afin de commencer la tonification de la ligne du dessous et lui donner les billes pour porter le poids du cavalier. Aucun enrênement ni coercition ne sera à l’origine de la posture tête-encolure qui restera naturellement dans son angle avec une proposition à descendre puis à rester horizontal. L’ossification de ses corps vertébraux ne sera pas terminée avant au moins encore 2 ou 3 ans, toute contrainte sur ces derniers par une attitude contraignante basse ou haute, enroulée ou ouverte associée à un poids venant accentuer l’extension dorsale (creusement du dos) anéantira l’usage fonctionnel du dos et pourra être à l’origine de remaniements osseux, conflits des processus épineux, dorsalgies, lombalgies… Il est donc temps de prendre son temps…

Octobre 2020

Sur ces photos, il s’agit de la sixième séance remontée pour cette année,  seconde séance sans le longeur et la troisième au galop monté. Il est donc très vert, la direction est optionnelle, la régularité un espoir proche, la stabilité et la confiance en la main un lointain fantasme. Cette première étape est donc de l’aider à porter le cavalier, dans le respect de l’inné locomoteur, et attendre.

“…ensuite lui rendre la main et le laisser faire : car le cheval sait mieux prendre son temps que vous ne lui pouvez donner…” Newcastle
Mais pour le moment, “je lui laisse l’entière liberté de sa marche et de ses mouvements, pourvu qu’il ne courre point…” (Sind 1774), “ …cherchant simplement à placer, régler l’allure, tenir droit et d’à-plomb le corps du cheval sans entreprendre de le rassembler ou le contraindre.” (Mottin 1773)
Attitudes à éviter !
Attitude à rechercher, et à essayer de conserver

Les mois à venir vont être principalement orientés vers la qualité d’un contact de l’arrière vers l’avant qui se voudra de plus en plus permanent, plus élastique, dans un couloir des aides canalisant sur de grandes trajectoires. Mon travail est d’essayer de maintenir un contact sur les commissures et d’éviter les barres afin que, au lieu de craindre le contact et de le fuir en lâchant la main, en raccourcissant les muscles de l’encolure en guise de fausse légèreté dans une « mise en main » bonne à rompre la juste propulsion et à éteindre l’influx de la volonté du mouvement, ou en s’armant contre la main, il s’y repose sans appui, confiant et allongeant son encolure vers ce contact comme une longue vue télescopique. Si cette attitude horizontale, vers un contact élastique et permanent dans une cadence calme se poursuit dans les changements de direction, les transitions montantes et descendantes, idéalement aux trois allures, il sera alors temps de passer à la suite. Le contrôle des épaules et une main accompagnante sera l’actualité de nos séances pour un temps indéfini que seul, le jeune cheval, saura faire évoluer. Patience et longueur de temps…

Et là, heureusement encore
que les vieilles âmes des sages
murmurent en ritournelle leurs adages
retirant à mon impatience son inconfort !

« …le jeune cheval doit être monté pour lui, et non pour faire briller celui qui est dessus. Il était encore passé en proverbe dans les académies, que, plus on veut grandir les jeunes chevaux, plus on les abaisse, pour exprimer cette vérité, qu’en exigeant trop de leurs ressorts et de leurs forces, on use bientôt les premiers et on épuise les secondes. » Aubert

“ Les bons et longs services d’un cheval dépendent toujours de la manière dont il a été commencé. Il ne s’agit pas, sur un poulain, de se hâter d’exiger un travail servant à faire valoir l’adresse et ressortir la promptitude avec laquelle le cavalier peut le soumettre à ses exigences; il faut, au contraire, user de patience pour donner au cheval le temps de se développer, avoir enfin le discernement de juger ce qu’il est en état de donner. Des exigences trop promptes peuvent faire sortir des tares, rompre les allures, faire naître la défense, engendrer des maladies inflammatoires, et venir ainsi, d’une manière désastreuse, influer pour toujours sur l’économie du cheval.” D’aure

“C’est avec le temps et la douceur, que l’on placera la tête et le col : il ne faut pas tenter de le faire trop tôt, on ruine le cheval. La grande leçon à lui donner est de se porter bien en avant…” (Dupaty 1776)

“La tête et l’encolure placées bas leur facilitent essentiellement le voussement du dos et l’engagement des postérieurs, donc la tâche qui consiste à porter le cavalier. Un faux relèvement, au contraire, rend difficile aux chevaux les mieux bâtis l’engagement correct des postérieurs, et, par suite, annihile impulsionet allure.Toute attitude obtenue au détriment de l’allure est mauvaise _ c’est la preuve d’une équitation mal comprise.” Podjasky

“…car chaque cheval prend son temps et sa cadence propre…” Newcastle

“Je ne fixe aucun temps au cheval pour pouvoir me satisfaire; cela dépend de ses forces et de son âge.” Dupaty de Clam

“Le terme “développement “ à lui seul exprime une exigence essentielle et récurrente : pour une formation classique  il faut du TEMPS.” Heuschmann

“La solution réside dans la répétition inlassable du “préparer”, comme s’il était le but même du dressage : le préparer est tout.” Franchet d’Esperey

Bien, je vous laisse, je vais essayer de « préparer » Major.

L'association Connivence

Cette association (loi 1901 à but non lucratif) à vu le jour en 2009, créée par Emilie Haillot dans le but de promouvoir, sous la forme de stages et conférences, la complémentarité de 4 approches autour du cheval : la connaissance du cheval physique ( biomécanique, énergétique…) , la connaissance du cheval psychique (éthologie, horsemanship…) , la gestion physique et énergétique du cavalier, la technique du dressage du cheval selon les préceptes classiques.

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