La (con)quête du (con)tact

Émilie • 5 mai 2017

J’ai invoqué la sagesse et l’expérience des anciens, ceux qui ont retourné l’Équitation dans tous les sens, du moins celle qui vise à améliorer les allures du cheval avec technique, passion, patience et abnégation, pour leur demander leur avis sur la question fondamentale de ce qui unit bouche et main.

« Le contact, leur ai-je dit, je l’ai vu se prendre et se rendre, se perdre, se forcer, s’imposer, se lâcher, s’abandonner, s’alourdir, se rompre, se fuir, s’émousser, se durcir, s’irrégulariser… je l’ai vu si souvent naître d’une main présomptueuse, si rarement du cheval.
J’ai entendu : fais le céder, fléchis sa nuque, mets le en main, place ton cheval… J’ai vu les mains, soutenues par les jambes, prendre le pouvoir et s’approprier la forme retirant toute le naturel de la biomécanique. Bizarre, pourtant il me semble bien que cela fait quelques siècles que vous nous mettez en garde ! »

William (Newcastle), définit en 1667 la main « légère douce et ferme » comme « un des plus grands secrets que nous ayons…”, Gaspard (de Saunier) précise en 1756 qu’ “…un Homme de Cheval doit avoir la main posée sans négligence, active sans violence, et experte sans distraction.”, puis bien sûr l’indiscutable François (La Gérinière) d’insister : « l’appui à pleine main, qui fait la meilleure bouche, c’est lorsque le Cheval, sans peser ni battre à la main, a l’appui ferme, léger et tempéré ; ces trois qualités sont celles de la bonne bouche d’un Cheval, lesquelles répondent à celles de la main du Cavalier qui doit être légère, douce et ferme ».

D’un côté la bouche, de l’autre la main, mais ce lien qui les unit, qui est-il vraiment ? La rêne ? Pas que. La main du cavalier est reliée au corps, à l’assiette, aux jambes, à son énergie, à sa pensée… La bouche du cheval est reliée au reste de son corps, aux muscles, aux fascias, à son mental, à son énergie… le contact est partout, comme un réseau imprégnant toutes les cellules de chacun… Si la main est une aide au dialogue, on pourrait bien s’en passer, d’ailleurs certains s’en passent bien.
J’insiste : « Pourquoi donc vous battez vous depuis des siècles pour rendre la qualité du contact si fondamental ? Quelles sont ces qualités ? »

La permanence élastique dans la légèreté
Un contact qui ne se dérobe jamais semble s’imposer comme fondement de la base de tout.
“…une tension moelleuse et continue des rênes…”
déclare Pierre François (de Montfaulcon de Rogles) dans les années 1750 induisant la confiance permanente qu’Antoine (comte d’Aure) métaphore plus tard “Je ne puis mieux comparer la situation du cheval ainsi dirigé par l’homme, qu’à celle de l’aveugle conduit pas son chien; tant que la corde est tendue et qu’il sent son guide, l’aveugle marche avec confiance; si la tension cesse, l’incertitude arrive.”
Au XIXème toujours, James (Fillis) confirme :  “il est de règle absolue, en équitation, que la main doit toujours rester en communication avec le bouche.”. L’affaire semble d’une si haute importance qu’à la fin du XIXème siècle, Mathieu-François (Commandant Duthil) tente une définition “La main fixe, pas plus que la main flottante, ne saurait obtenir ce genre d’appui donné par les doigts et accepté par la bouche, et que nous ne pouvons mieux définir que par l’expression résistance élastique.” Il poursuit : “…cet appui franc, constant et élastique que nous devons faire accepter par la bouche, est la base sur laquelle nous nous appuierons plus tard pour nous emparer des mouvements d’extension et de redressement de l’encolure (…) sinon on risque de faire fausse route et on se crée pour l’avenir de sérieuses difficultés.”
En 1887, Paul (Plinzner) indique aussi que le cheval doit « ..s’appuyer avec élasticité sur la main. Le temps employé à poser cette base ne sera pas perdu, et se regagnera ensuite largement; par elle seule, en effet, on arrivera à obtenir que les chevaux continuent à « marcher du dos (…). La vraie activité du dos s’obtient quand les chevaux sont parfaitement à l’appui constant sur la main . Un rassembler qui ne présente pas cette condition avec une certitude complète, est une faute qui se fera sentir  dans l’emploi du cheval. ».
En 1965, Alois (Podhajsky ) rappelle :  « L’appui correct doit être permanent, c’est-à-dire uniforme. (…) », il déclare «  la  nécessité  absolue d’obtenir du cheval un appui correct, d’où résulteront les progrès constant de son rassembler. » et Nuno (Oliveira) à la fin du XXème pense qu’il est nécessaire d’insister à nouveau : “La main doit toujours être en communication avec la bouche.”.

Mais voilà, constant oui, mais léger. Car les dérapages sont déjà nombreux, « appui », « ferme »… les mots peuvent être mal interprétés, alors Plinzner n’oublie pas de mettre en garde “Les rênes ne doivent être tendues que suffisamment pour conserver, sans interruption, la liaison entre la main du cavalier et la bouche du cheval.” , ou encore : « l’appui constant sur la main , mais si léger que le cavalier ne sente pas beaucoup plus que le poids des rênes. »
Début XXème, c’est Albert-Eugène-Edouard (général Decarpentry) qui le dit : “dans l’équitation académique, l’appui doit être rendu aussi léger que possible, et rapproché au plus près du simple contact, qui ne doit jamais être perdu.”, Jacques (de Saint Phalle) fin XIXème y tient aussi “…la constance du contact entre la main et la bouche ne porte en rien préjudice à la légèreté dont elle suppose, au contraire, le facteur le plus nécessaire : l’impulsion. (…) Le contact peut être si ténu, la bouche peut le conserver avec une telle absence de résistances, qu’il ne suppose aucun effort ». Il semble difficile de décrire cette subtilité, chacun y va de sa plus belle plume, ce contact devrait être permanent mais sans lourdeur, et léger sans flottement.
Une autre mise en garde à ce sujet consiste à rétablir l’écueil sur la fausse légèreté comme Saint-Phalle qui nous parle de la légèreté vraie :
“Celle-ci consiste dans la délicatesse avec laquelle le cheval soumis et tendant sans cesse au mouvement en avant prend contact avec la main pour lui demander, en quelque sorte, la permission de passer. Si les doigts cèdent, l’encolure s’allonge, le centre de gravité avance, l’allure s’étend; s’ils résistent, le cheval reste moelleusement fléchi, courbé sur la main, prêt à se détendre dès qu’elle ne s’y opposera plus, tel le ressort élastique et fin qu’une force imperceptible suffit à tenir tendu, mais qui se débande instantanément dès qu’elle disparaît. Cette tendance continuelle du cheval à de détendre différencie à première vue la vraie légèreté de la fausse; elle n’est autre chose que l’allant, autrement dit, l’impulsion naturelle ou acquise.”
Jacques ne s’arrête plus : “On est si souvent amené à parler de légèreté que je crois bon de définir cet état qui, suivant la manière dont il est obtenu, est le meilleur ou le pire, la vraie légèreté étant une qualité aussi nécessaire au juste emploi du cheval que la fausse légèreté lui est préjudiciable. (…) Le cheval qui reste en arrière du mors, qui ne vient pas sur le mors, ne présente pas de résistance à la main; mais il est dans une fausse légèreté parce qu’il manque de l’impulsion qui l’amènerait à venir chercher le commandement de la main.”

Le risque est grand, Ludwig (Hünersdorf) au XVIIIème y avait déjà consacré quelques lettres “…on entend beaucoup d’amateurs porter les jugements les plus erronés sur cette partie de l’équitation, et ils croient le plus souvent un cheval léger à la main, parce qu’ils ne le sentent pas.”. Tout comme Adolphe (Gerhardt, fin XIX) “Cette fausse légèreté, qui trompe bien des cavaliers, a, entre autres inconvénients, celui de nuire considérablement à la franchise du cheval…”, poursuivit entre autre par Oliveira à la fin du XXème  “Il ne faut pas confondre légèreté avec fausse légèreté où un cavalier sous prétexte de légèreté laisse son cheval flottant et sans impulsion.”.

Et à l’origine, seule gage de justesse : l’impulsion
… sans laquelle le contact ne peut provenir du cheval lui-même et ne saurait être alors autre chose qu’une supercherie.
Un autre Pierre (Pradier), au XXème cette fois déclare, fort de son expérience vétérinaire, : « L’impulsion elle-même va se traduire par cette quête du contact. Une des plus importante nécessités du dressage est mis en place : la fidélité à la main.”. Oliveira avait aussi indiqué que  “ la main reçoit ce que l’arrière lui envoie. C’est le vrai contact (…) c’est le cheval qui doit rechercher l’appui sur la main », Steinbrecht avant eux que « le concept d’impulsion est inséparable de celui de l’appui correct… », et quand à Etienne (Beudant), il tourne encore les mots dans un autre sens pour dire la même chose : “Cette légèreté, conséquence de l’impulsion, se produit à la suite de l’appui confiant que le cheval vient chercher sur le mors.”. On n’oublie pas D’Aure : « ce léger appui, ce rapport qu’il vient de chercher de lui-même en se portant en avant.”, ni Podhajsky :  « …ce n’est pas le cavalier qui doit, en tirant sur les rênes, chercher une liaison avec la bouche du cheval et, par là-même, freiner ce dernier dans son impulsion ; tout au contraire, c’est le cheval qui doit rechercher l’appui sur la main du cavalier. »

On ne pourra pas dire qu’on ne le savait pas, en voilà encore un autre (Steinbrecht) qui s’y met : « qu’il ne cherche pas, en tirant, l’appui demandé, mais qu’il attende, en gardant tranquillement sa position, le moment où le cheval le prendra de lui-même étant poussé sur le mors par les aides propulsives, qui lui feront allonger l’encolure. » et nous amène une nouvelle donnée, le cheval allonge l’encolure pour chercher ce contact, signe évident qu’il vient de lui, et Podhajsky de rajouter qu’il faut “ s’efforcer d’amener le cheval à chercher l’appui vers le bas, en allongeant l’encolure ; parce que c’est ainsi qu’il peut le plus facilement vousser le dos.”
L’Équitation bien menée incite donc le cheval à chercher le contact que la main recevra, à ce moment seulement elle pourra agir sans nuire.
La main doit donc partir à la quête du tact pour recevoir le fruit de la conquête du contact.
Gerhardt nous résume alors le rôle de la main : “…le cheval doit toujours s’appuyer en toute confiance, quoique avec légèreté, sur la main du cavalier chargée de régulariser, de diriger et de contenir au besoin, soit l’action naturelle du cheval, soit l’impulsion donnée par les jambes…”
Définitivement, je ne crois pas avoir lu parmi ces auteurs « pousse ton cheval en avant et fait le courir vite pour le déséquilibrer vers l’avant, afin qu’il porte son poids sur les épaules, poids que tu pourras récupérer dans tes bras, et ainsi te permettre de le porter et le soutenir par la main dans chaque foulée de chaque mouvement. », ni « cisaillez la bouche de votre cheval afin qu’il fléchisse la nuque et ne bouge plus de cette attitude enroulée indispensable à son bon fonctionnement. » mais plutôt des alertes comme celle d’Oliveira “On dit : “Poussez le cheval sur la main”. C’est une erreur. Ce n’est pas le cavalier qui impose le contact. C’est le cheval qui établit un contact moelleux, suite à des exercices appropriés.”. Beudant fait remarquer que “ la cession forcée de la tête et de la mâchoire à une puissance supérieure n’implique pas la décontraction des muscles voisins et, encore moins, celle des autres parties du corps du cheval. C’est ce qui arrive lorsque les jambes contraignent la bouche à céder au fer qui la fait souffrir.” et Decarpentry nous explique que “Toute flexion dans laquelle les rênes agissent par traction d’avant en arrière, aussi légèrement que ce soit, est un exercice de mise derrière la main.”. Il se permet également d’établir la nuance :  “L’appui s’entend de la tension donnée par le cheval aux rênes ajustées par le cavalier.”. Voilà, donc on ajuste juste, on se contente de  gymnastiquer vers l’avant et on l’a juste ! (le contact)

Un contact de qualité serait donc défini par une connexion constante, élastique et légère prise par le cheval de l’arrière vers l’avant issue de l’impulsion (la vraie) permettant la mise en jeu de tous les échanges avec le cavalier pour un fonctionnement locomoteur juste.

Merci sages anciens, pour ne citer que vous.

L'association Connivence

Cette association (loi 1901 à but non lucratif) à vu le jour en 2009, créée par Emilie Haillot dans le but de promouvoir, sous la forme de stages et conférences, la complémentarité de 4 approches autour du cheval : la connaissance du cheval physique ( biomécanique, énergétique…) , la connaissance du cheval psychique (éthologie, horsemanship…) , la gestion physique et énergétique du cavalier, la technique du dressage du cheval selon les préceptes classiques.

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