Coraçao – La valse à mille temps

Émilie • 13 avril 2023

Nous en sommes à un point très délicat, encore jamais atteint pour moi dans le processus de dressage d’un cheval, celui du travail de haute précision au galop, et avec lui son lot de questionnements. 

La grande actualité est, pour ce cheval fin et délicat, de lui faire comprendre la différence dans la demande entre les changements de pieds aux deux temps et les changements de pieds au temps. Car si début avril 2023 je peux préparer une diagonale pour en avoir 7 aux deux temps, puis une autre pour en avoir quelques uns au temps, il m’est impossible de passer de l’une à l’autre sans que la confusion soit total. 

Comment canaliser sa sensibilité, sa susceptibilité parfois, son hyper-réactivité, comment garder son esprit d’initiative sans le laisser devancer ou anticiper, tout en gardant une approche non coercitive, une assiette enveloppante et non intrusive, un contact avec la bouche de l’ordre de la discussion, et non du monologue, des aides guides et non directives, une jambe qui effleure puis se tait…un éperon qui précise mais ne laisse pas de trace… 

Coraçao entame la plus belle des décennies. L’art du perfectionnement est passionnant, ce cheval qui s’est laissé dresser « dans son jus » est maintenant prêt à accéder à la recherche d’expression. Il est prêt et capable corps et âme. Tous ne le sont pas, certains pourront faire tous les mouvements mais sans pouvoir y mettre le brillant et ce ne sera que sagesse de ne pas les y pousser, d’autres auront des facilités pour certaines choses mais de grosses difficultés mentales ou physiques pour d’autres… D’autres encore en auront le talent mais pas l’envie, d’autres l’envie mais pas le talent… J’ai donc comme partenaire une perle rare.

Comment accéder à cette technicité de pointe sans le blaser, en s’entraînant sans l’user, en répétant sans le dégoûter, avec comme ligne de conduite, celle de ramener au pré un cheval satisfait de lui ?  Car si dans son regard, en fin de séance, quelle que soit la qualité des mouvements effectués, je ne lis pas la fierté de ce qu’il a donné, l’échec sera cuisant. 

Je ne serai pas une cavalière heureuse si je dois le tondre en laissant un carré de poil au niveau des éperons, si je garde dans ma boîte de pansage une crème pour la commissure des lèvres, si je dois user d’infiltrations ou de mésothérapies régulièrement pour son dos, si son dentiste m’interpelle pour me dire que sur les barres de mon cheval, il n’y a plus que l’os, pas heureuse non plus si mes biceps se développent pour une autre raison que la fourche et le fumier, si chaque séance est un combat, s’il fouaille de la queue à chaque foulée, ou si les formes de son corps témoignent d’une musculature divergente où les tensions deviennent visibles, autant que dans son expression ou ses grincements de dents, si mon travail dégrade son potentiel, s’il dénature ses allures ou finit par le rendre bêtement mécanisé, exubérant mais douloureux, si le « trot is money » m’a corrompu, ou encore s’il ne veut plus venir vers moi alors que j’ai les poches vides de friandises.

Reprenons l’historique du sujet en question :  

Novembre 2021, en stage avec Jean-Louis Sauvat, nous conversons sur le changement de pieds, Coraçao les rapprochait à 3 ou 4 temps mais pas de manière régulière. Il me conseilla d’aborder rapidement les deux temps et les temps et de ne pas m’attarder, avec un cheval aussi fin, sur les 3 ou 4 temps. Attention la valse à mille temps commence ! 

– Rapidement il comprit le principe, comme ces premiers 3 changements au deux temps en janvier 22https://www.facebook.com/emilie.haillot/videos/424133292825958 

– Effectivement, Coraçao se sentit plus à l’aise sur les deux temps, puisque en février 2022, il pouvait en enchaîner plus de 9. 

– En Mai et juin 2022, nous arrivions à faire les deux temps sur différentes trajectoires, sur la courbe par exemple, au point qu’il donna lui-même par hasard son premier changement au temps (cf à la fin de la vidéo).

Je décidais donc de commencer l’apprentissage des temps, et de ce fait, de ne plus demander les deux temps pour ne pas qu’il y ait confusion. Pour moi également, ne pratiquant pas cette difficulté tous les jours, il fallait aussi rentrer dans le tempo. 

– En Juin 2022, nous avions la première ébauche à la demande.

https://www.facebook.com/emilie.haillot/videos/1314461058962167

D’abord gauche/droite en entrée de longueur en piste intérieure, puis droite/ gauche, l’un ayant pris plusieurs semaines de plus que l’autre pour être compris. En effet, son changement vers la gauche, même isolé, manque de projection et de rectitude, il se jette sur l’épaule droite et sort les hanches à gauche, ce qui provient de sa dissymétrie naturelle comme de sa torsion physiologique (propre à chaque cheval) et qui, comme à chaque nouvelle difficulté technique, réapparaît de manière flagrante. 

Il me fallut donc revenir à l’amélioration de ce changement isolé pour que le déséquilibre alors produit ne vienne pas faire perdre une foulée de rééquilibrage, et donc rester aux deux temps. 

On revient quelques pages en arrière et on solidifie (Contre-changements de main en appuyers au galop, le travail au galop et les galop/pas/galop en épaule en avant à gauche…)
Mais il n’était pas le seul fautif, en voulant le rendre ambidextre, il fallait que je le sois aussi. Ma propre dissymétrie, en l’occurence une scoliose plutôt handicapante me plaçant à l’envers à gauche, venait complexifier le processus. Je m’attaquais alors au plus gros chantier, le mien. En voulant améliorer mon cheval, je commençais non sans peine des cours de yoga ! 

Les progrès furent lents, mais je me rassure, comme je me contente de très peu à la fois et que les séances abordant ces difficultés étaient alternées avec d’autres pour fractionner et changer d’obsession, nous n’abordions le sujet au mieux qu’une fois par semaine, et pas plus de 5 min. Donc 20 minutes par mois à tout casser. Ce qui donne une progression à la manière de la « grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite » ! Parfois décourageante. Mais avançons lentement nous sommes pressés, je savais qu’au regard de la sensibilité et du caractère du bel étalon, s’y acharner d’avantage aurait terni notre « amitié ». 

– Juillet 2022, Le cap des 3 étant passé, le quatrième fut long à venir, et nous voilà avec des va-et-vient entre les pages du livre de progression…

À ce moment, je trouve en la personne d’Alain François à Saumur, l’entraîneur idéal pour mes besoins. Nous commencions alors sous un oeil averti, l’évolution des changements de pied au temps.

Alain nous aida pendant 4 jours à insister un peu, ce qui a permis, effectivement de passer un nouveau cap, toutefois difficile à reproduire à la maison, ne dépassant que rarement le quatrième. 

Quelle fréquence pour ce type de mouvements ? Non pas pour les réussir vite et parfaitement mais pour que le cheval ne se décourage pas, ou qu’il ne trouve pas de combines pour éviter l’effort trop intense en se traversant ou en perdant sa jolie amplitude naturelle. 

Certaines pauses plus longues lui ont permis de maturer et de proposer lui-même de grands progrès, parfois un stage plus intense de 3 jours permettait de passer un cap, mais je suis incapable d’exiger ces difficultés au quotidien, ma passion restant le chemin plutôt que le but, et ma motivation à trouver un sens à ces exigences faisant yoyo dans mon cerveau de fondamentaliste. 

Il fallait aussi me rendre à l’évidence et accepter que l’intensité de la concentration et la peur de l’échec, produisait à chaque séance où j’avais décidé de travailler les changements rapprochés, un stress immanquablement : augmentation du rythme cardiaque, blocage du diaphragme, mental fermé, ce qui était évidemment épongé par Coraçao. Or pour Alain François, ça doit devenir un jeu, donc dans une détente commune totale… 

Combien de nuits n’en ai-je pas rêvé ? La plupart du temps je me retrouve par miracle, en train de changer de pieds comme je veux, autant que je veux, au rythme que je veux, temps/deux temps/temps, si facilement comme en osmose complète avec … personne, sous moi pas de cheval, je suis seule avec mes deux jambes à faire du «cheval à deux pattes » et me réveille avec un goût amer de désillusion. 

Novembre 2023. Une grosse chute (d’un autre cheval) vient ralentir encore un peu plus notre quête du Saint-Graal.

– Lors du 3eme stage chez Alain François, début février 23 , nous en étions un peu au même point, un sixième au temps mais pas vraiment plus… Du moins pour ce mouvement là.

Mi-mars 23, les temps s’affirment mais on est loin de contrôler leur nombre. En m’entraînant dans d’autres écuries locales pour quelques mises en situation, nous arrivions à certains moments, de manière furtive et non confirmée, d’en enchaîner 9, comme sur cette vidéo. 
https://www.facebook.com/emilie.haillot/videos/523710433032761

Pourtant, j’étais plutôt motivée pour commencer cette années les épreuves de dressage comprenant piaffer/passage/pirouettes/changements de pied au temps. Or pas de changements au temps sans changements aux deux temps. 

Je décidais alors de lui redemander les deux temps, oubliés depuis juin dernier. Et ce ne fut pas une mince affaire. Il fallait non seulement commencer les temps sur la diagonale, ce qui est une nouvelle étape parfois difficile après les avoir appris et répétés sur la longueur en piste intérieure, mais aussi revenir aux deux temps. 

Je me suis appuyée sur la reprise Pro1A (A4A), où la diagonale MK doit contenir 7 changements de pied aux deux temps et quelques mouvements plus tard, la diagonale HF, 7 au temps. 

Je décide donc de nous exercer en demandant toujours les deux temps sur MK et les temps sur HF, pour jouer sur sa mémoire et simplifier l’apprentissage. Puis de marquer une réelle différence dans les aides. Les deux temps un peu volontairement et momentanément désaxés, c’est-à-dire que je marque un peu le changement de pli et surtout l’aide principale serait le recul de la jambe extérieure au galop, sans « monter » le galop en préparation. Par contre pour les temps, je commence à « monter » le galop avant la diagonale, les deux jambes à la même place sans les décaler puis je ne déclenche le mouvement qu’avec une impulsion d’assiette. 

Une fois par semaine donc, après les gammes et les exercices préparatoires aux changements de pied d’Alain François, je demande les deux temps sur MK où souvent il entame fièrement…  les temps… Je ne peux alors le réprimander, ne pouvant donner une sensation négative à ce que j’ai mis des mois à encourager… Je repasse au pas et réessaye, en lui faisant faire quelques transitions : 2 foulées galop à droite/pas/2 foulées galop à gauche/pas/…pour rythmer le tempo souhaité.   

Une fois réussie, j’entame HF avec le principe des temps, qui amène son nouveau lot de cafouillages.  Fier d’avoir compris le mouvement précédent, il re-propose les deux temps…. Self contrôle, grande respiration, et recommencer. Ignorer quand ce n’est pas ce qu’on veut, féliciter la moindre réussite. Et les semaines passent.

Début avril j’essaye alors l’enchaînement de la Pro1A. Une détente globale avec une esquisse de deux temps et de temps et nous voilà partis sur la reprise. C’est la douche froide, émoustillé par l’enchaînement des figures, le voilà trop tendu sur MK, il se lance dans un laborieux mélange anticipé de temps en croupionnant à moitié. Effectivement, j’avais demandé les temps dans la détente mais ne l’avais jamais entraîné à revenir sur les deux temps après. Ce sera la prochaine étape, je me suis souvenue alors d’une phrase entendue je ne sais où : il faut toujours finir la séance par les deux temps. 

La semaine suivante, le 13 avril, l’échéance d’une reprise Pro1A où je me suis inscrite, approche grandement, je tente une nouvelle répétition mais cette fois sans demander les temps à l’échauffement. Et voilà que pour la première fois j’obtiens une parfaite exécution des deux diagonales avec les 7 changements aux deux temps puis les 7 au temps. Un espoir, une petite victoire, fragile et n’ayant probablement par touché son esprit autant que le mien, bien que je me sois jetée au sol pour le féliciter ; je sais que le principe commence à être compris mais que rien n’est acquis…

L'association Connivence

Cette association (loi 1901 à but non lucratif) à vu le jour en 2009, créée par Emilie Haillot dans le but de promouvoir, sous la forme de stages et conférences, la complémentarité de 4 approches autour du cheval : la connaissance du cheval physique ( biomécanique, énergétique…) , la connaissance du cheval psychique (éthologie, horsemanship…) , la gestion physique et énergétique du cavalier, la technique du dressage du cheval selon les préceptes classiques.

Vous appréciez ce site ?
Partagez-le sur vos réseaux !
Merci !

© 2024 Connivence.org • Émilie Haillot • Contact

Cookie(s) refusé(s) Changer • Politique de confidentialité

Design - développement : nicleg